La Porsche 917-045

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Dans l’optique de l’exposition « 917 Made for le Mans » organisée actuellement au Musée Automobile de la Sarthe, la Porsche 917-045, une des merveilles du musée, a retrouvé sa livrée originale des 24 Heures du Mans 1971. Profitons de l’occasion pour revenir, en quelques images, sur sa courte carrière sportive et les différentes vies de cette auto.

 

Taillée pour les Hunaudières.

La Porsche 917-045 est le dernier exemplaire construit de la série des « 040 », ces 917 longues construites spécifiquement pour le circuit du Mans à partir de 1970.
En effet, en 1969, il n’existait pas de 917 courtes ou longues, la partie arrière était démontable en fonction de la configuration des circuits, à la manière de ce qui avait déjà été vu sur les CD SP66 des saisons 1966 et 67.
Tout le travail de recherches aérodynamiques mené par Lucien Romani, Robert Choulet et les ingénieurs de Porsche durant presque trois ans allait être synthétisé dans cette ultime version, la 917L de 1971, la plus aboutie.
Le capot avant à pan droit développé pour la 917/20 lui a été adapté, les persiennes sur les ailes ont été avancées pour amener encore plus d’appuis sur le train avant, la ventilation de l’habitacle améliorée, le capot moteur a été également redéfini, l’aileron modifié et replacé, les dérives le supportant sont désormais parallèles au lieu de converger légèrement vers l’arrière, un demi carénage ajouré recouvre les roues, l’ajout d’un radiateur d’huile de boîte a permis de remplacer les écopes du modèle 70 par deux prises d’air Naca et, pour finir, la carrosserie est maintenant fabriquée avec un composite PVC/Epoxy, renforcé de filaments de carbone par endroits,  développé pour les 908/3, qui apporte un substantiel gain de poids et évite les déformations à haute vitesse.

 

En fin d’après midi, Bell et Siffert passent à l’attaque après avoir perdu le commandement lorsqu’un des boîtiers d’allumage s’est détaché.

 

Agressive, racée, galbée à souhait tout en conservant une grande fluidité, la 917L des 24 Heures du Mans 1971 n’est pas seulement la plus belle de son espèce, elle est aussi une des autos les plus performantes qui aient posé leurs roues sur le circuit sarthois.
Selon les radars de l’ACO ou celui de Porsche, placés à différents endroits sur la ligne droite, les 917L ont été chronométrées entre 386 et 396 km/h en vitesse de pointe dans les Hunaudières.
Au volant de la 917-043, Jackie Oliver va signer un tour en 3’13″600 lors des essais d’avril 1971. Même si Kamui Kobayashi s’est montré plus rapide en vitesse moyenne en descendant sous les 3’15 pour signer sa pole position en 2017, le record absolu d’Oliver, tous circuits confondus, n’a toujours pas été battu presque cinquante ans après.

 

Les 24 Heures du Mans 1971.

917-045 était une des deux longues queues confiées à l’écurie Wyer pour les 24 Heures du Mans 1971, l’autre étant la 043. La troisième 917L, la 042, est confiée au Martini Racing Team, les trois autos ayant été préparées par l’usine.
Jo Siffert, qui devait qualifier la 917-045, va connaitre des essais perturbés.
En effet, le mercredi soir, les rapports de cinquième des 917L Wyer étant inadaptés, c’est Vic Elford, sur la 042 Martini, qui signe la pole provisoire en 3’14″900. Pedro Rodriguez se hisse en première ligne avec la 043 en 3’17″300 alors que Siffert ne peut faire mieux que 3’18″200.
Le lendemain, les Wyer reçoivent les mêmes rapports de boîte que la Martini.
Rodriguez d’adjuge la pole en 3’13″900, malgré un fort vent de travers dans les Hunaudières et Elford ne réussi pas à améliorer.
Siffert réussi à descendre en 3’17″600, mais se fait une énorme frayeur lorsque la 911S de Tuckett, qui n’a manifestement pas vu le fribourgeois le dépasser, se rabat sur la 917 à la sortie de Maison Blanche et l’envoie dans une terrifiante série de tête à queue à plus de 200 Km/h. Miraculeusement, Seppi fini par s’arrêter, en marche arrière, après avoir érafler les rails à basse vitesse, des deux côtés de la piste.
Une fois de retour aux stands, les dégâts constatés sont peu important, mais la course à la pole se termine ici.
Le capot arrière de la 917-045 restera tout de même très légèrement déformé sur la gauche, et pour garantir son étanchéité à haute vitesse, dès le départ, la voiture sera bardée de gaffeur gris à cet endroit.

 

Porsche 917L-045 le mans 1971.

Alors que le soleil se lève sur le circuit, Siffert et Bell sont remontés au sixième rang après une nuit passée à attaquer.

 

Associé à Derek Bell, Siffert va faire un début de course prudent, laissant les deux autres 917L s’échapper légèrement.
Lors du premier ravitaillement, les mécaniciens du team Gulf Wyer se montrent plus efficaces que leurs homologues du Martini Racing et le suisse pointe second à la fin de la première heure, dans l’ombre de Rodriguez.
Les deux 917 longues bleue et orange restent roues dans roues toute la durée du relais et, une fois encore, les mécanos de Siffert, qui, comme Rodriguez, triple son relais, vont être les meilleurs et la n°17 prend le commandement, bouclant la seconde heure avec 14 secondes d’avance sur la n°18.
Mais, il est obligé d’anticiper la fin de son troisième relais car un boitier d’allumage s’est détaché.
La même panne ayant précédemment provoqué un problème avec le limiteur de régime sur la 042 lors du second relais de Larrousse, la préparation hâtive des 917 longues commence à se faire sentir.
La n°17 perd trois minutes aux stands et Bell repart quatrième derrière la Ferrari 512 M Penske pilotée par David Hobbs.
Il va la dépasser lors du ravitaillement suivant.
A 21h, Seppi, qui a reprit le volant, pointe en seconde position.
Pourtant le suisse anticipe le relais suivant et rentre, en proie à des problèmes de tenue de route et de freinage.
Il retourne en piste après une arrêt de onze minutes lors duquel est effectué un changement de plaquettes, une purge du système de freinage et un changement de pneus.
Mais après avoir bouclé un tour, la n°17 s’arrête de nouveau, le comportement de la voiture en piste ne s’est pas amélioré.
Le roulement de la roue arrière gauche est mort et il faut changer le porte-moyeu.
La réparation va durer 1h10 et la 917-045 tombe au 14ème rang à minuit.
Siffert et Bell repartent le couteau entre les dents et leur remonté va durer toute la nuit.

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971

Fumante, la 917-045 boucle ses derniers tours de roues avec Derek Bell à son volant.

 

A deux heures du matin, la n°17 est remontée au onzième rang, et gagne encore une place juste avant la mi-course.
La 045 pointe à une solide sixième place aux premières lueurs de l’aube, à la quatorzième heure, et va s’y maintenir quatre heures durant.
Mais lors de la seizième heure, à la fin du relais de Siffert, la voiture commence à perdre de l’huile.
Le suisse rentre et la bâche à huile est changée, mais durant l’arrêt, les mécaniciens se rendent compte que le carter du Flat 12 est fendu.
Toujours sixième, Bell retourne en piste après 23 minutes de réparation mais la n°17 fume de plus en plus.
Elle va être retirée à 8h43, juste avant que le moteur ne serre, l’abandon étant officialisé à dix heure du matin.

 

La seconde vie de la 917-045.

Après les 24 Heures du Mans 1971, qui seront la seule course de sa courte carrière sportive, la 045, comme toutes les Porsche fournies par l’usine, est renvoyée à Weissach pour démontage et analyse des différents éléments qui la composent.
Elle est remise en état et pourvue d’un flat 12 fonctionnel en lieu et place de son moteur de course.
Jusqu’à la fin de l’année 1971, affublée de deux énormes stickers Gulf de chaque côté de son capot arrière, elle va participer à différents salons en tant qu’objet promotionnel pour le compte de son principal sponsor.
En 1972, Porsche offre la 917-045 au Musée Automobile de la Sarthe.
Mais, pour des raisons financières, les relations entre la marque de Stuttgart et le pétrolier américain dont la voiture porte les couleurs ne sont plus au beau fixe.
Un accord est donc passé avec le musée sarthois pour que la 045 soit transformée en clone de la 042, celle à la livrée Martini.
Sur cette partie de l’histoire, les sources sont divergentes. Selon certaines, c’est un artiste local, dont l’histoire n’a malheureusement pas retenu le nom, qui va se charger de la transformation. Pour d’autres, le changement de livrée a été effectué chez Porsche à Weissach, après un retour de l’auto en Allemagne.
Durant presque quarante ans, la Porsche 917-045 va être exposée, en statique, dans les deux musées qui vont se succéder, et malgré quelques retouches cosmétiques, elle va subir, peu à peu, les outrages du temps.

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971 Musee du Mans 1989.

La 045 dans l’ancien musée du Mans en 1989. La vitre latérale, brulée par le soleil, s’effondre dans l’habitacle et la peinture intérieure, déjà en train de s’écailler, parsème le tableau de bord de particules.

 

 

A la fin des années 2000, l’engouement du public pour les courses historiques se fait de plus en plus fort.
Début 2010, Hervé Guyomard, qui dirige alors le service du patrimoine de l’ACO décide de faire de la 917-045 une des ambassadrices du musée et de lui offrir une restauration.
Pour ce faire, il négocie une enveloppe auprès de la Fondation du Patrimoine et de la Fondation Motul et la remise en état est confiée à Crubilé Sport.
Mais le budget reste limité et il est décidé de se concentrer, dans un premier temps, sur la remise en route du moteur, qui n’a pas donné de la voix depuis presque quarante ans, pour permettre à l’auto d’assurer quelques démonstrations.
Le flat 12 est démonté et ses différents composants sont mis à tremper, durant trois semaines d’affilée, dans différents bains chimiques afin de les « dégommer ».
Pendant ce temps là, les outres des deux réservoirs sont changées, l’ensemble des durits d’alimentation remplacé et le système d’injection revu.
Contre toute attente, une fois réassemblé, le moteur redémarre sans trop de difficulté et semble même avoir conservé une belle santé malgré sa longue période d’inactivité.
Les frais pour la remise en route ayant été moins importants que prévu, la restauration va continuer de façon plus approfondie.
Les 917 étant construites en utilisant des matériaux qualifiés le plus souvent « d’exotiques » et se dégradant avec le temps, bon nombre de vérifications sont effectuées.
Le frêle châssis en aluminium, par exemple, a beaucoup souffert  des contraintes thermiques vécues par la 045 lors de ses dix-neuf années d’exposition dans l’ancien musée, dont l’isolation n’était pas le point fort. Il est cassé en neuf morceaux.
Certaines de ces fractures sont d’ailleurs situées sous les points où la carrosserie est collée au châssis et il faut creuser des saignées dans le composite pour pouvoir ressouder les tubes.
Une partie du circuit d’huile, passant par les tubes sur la gauche du châssis, ayant perdu son étanchéité, il est dévié par l’habitacle en utilisant deux grosses durits aviation qui démarrent à partir du radiateur.
En dehors du châssis, les suspensions sont revues et tout le système de freinage restauré.
Sur le plan esthétique, la livrée de 1972 est conservée, mais des retouches sont effectuées à différents endroits, la couleur d’origine, apparaissant sur quelques parties, notamment sous le capot arrière, est mise en valeur.
Le gris recouvrant l’intérieur de l’habitacle, qui se détache par plaques depuis des années et traduisant la préparation hâtive de l’auto est entièrement refait.
En vérifiant les différents faisceaux électriques, les hommes de Sébastien Crubilé vont découvrir une autre preuve de l’empressement à terminer la 045 avant les 24 Heures du Mans 1971.
En effet, tout le système d’éclairage des numéros a été réalisé avec du câble électrique ménager souple et monobrin, et il est évidemment assemblé avec des… dominos.
Pour que 045 conserve le plus d’authenticité, toutes ces spécifications ont été conservées et la remise en état est achevée peu de temps avant le Mans Classic 2010.
Lors de cette édition, la 917 du musée va être exposée dans le cadre du Le Mans Heritage et doit faire un roulage en ouverture de la parade Porsche le samedi.
Malheureusement, un des éléments électroniques d’époque du boîtier d’allumage va en décider autrement, et elle restera silencieuse, un long moment, sur la pré-grille, avant de retourner en exposition statique.

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971 le Mans Classic 2010.

Le Mans Classic 2010, la Porsche 917-045, remise en état par Crubilé Sport, va être une des vedettes du Le Mans Heritage.

Porsche 917-045 le Mans 1971 Le Mans Classic 2010.

En proie à des problèmes d’allumage, la 045 ne sera pas en capacité d’assurer sa démonstration.

Porsche 917-045 Le Mans 1971 Le Mans Classic 2010.

Sur cette photo de l’habitacle, on distingue bien les deux durits qui dérivent le circuit de refroidissement de l’huile moteur.

 

Pour éviter que les problèmes connus lors du Mans Classic 2010, un système d’allumage contemporain est monté et caché dans l’habitacle, mais dans un souci d’authenticité, toute l’électronique d’époque est conservée.
Lors du Mans Classic 2012, malgré une météo exécrable, Gérard Larrousse va prendre la volant, en slicks retaillés, de la 045, en ouverture de la parade Porsche. Pour l’occasion, la 917 longue sera accompagnée de la Porsche 935#005 et de la 962C#006, victorieuse en 1987.

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971 Le Mans Classic 2012.

Pour le plus grand bonheur du public, Gérard Larrousse prendra le volant de la 917-045 durant Le Mans Classic 2012.

 

Elle va quitter le musée une nouvelle fois lors des 24 Heures du Mans 2014 pour être exposée lors de l’exposition Porsche at Le Mans organisée dans le village, mais contrairement aux autos du Musée de Zuffenhausen, elle ne prendra pas la piste durant la parade.
On la retrouve sur un circuit en 2018. Fin avril, elle est présente à Magny-Cours lors d’une très belle, mais très humide édition des Classic Days.
Un an plus tard, le premier weekend de juin 2019, elle est une des invitées du 25ème Sport et Collection au Vigeant.
Dans les deux cas, c’est Sébastien Crubilé qui en aura pris le volant, prenant bien soin de ne pas rouler sur l’intégralité des sessions pour préserver la mécanique.
Elle va faire une dernière apparition sous cette forme lors du Festival de Goodwood, et, cette fois, c’est Derek Bell qui va retrouver l’auto de sa seconde participation aux 24 Heures du Mans.

 

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971 Classic Days 2018 Magny-Cours.

La 917-045 lors de sa participation aux Classic Days à Magny-Cours en 2018.

Porsche 917-045 Le Mans 1971 Sport et Collection 2019 Le Vigeant

La 045 au Vigeant en 2019 lors du 25ème Sport et Collection.

 

Au début de l’année 2020, apparemment grâce à Richard Mille, la 045 est envoyé à Nussdorf en Allemagne chez ORCA Restauration et elle va être remise dans ses couleurs originelles des 24 Heures du Mans 1971.
Les hommes d’Alfred Kist, qui sont devenus, petit à petit, les restaurateurs quasi attitrés du Musée Porsche de Zuffenhausen, vont, semble-t-il, procédé à une remise en forme purement esthétique.
Vous remarquerez que la vitre latérale d’origine, déformée par le temps, est toujours en place.
Il reste maintenant à espérer que, son clone ayant été « démaquillé », la Martini originale, la 917-042, pourra désormais elle aussi être aperçue en France.
Imaginez… Une parade de 917 lors du prochain Mans Classic pour fêter le cinquantième anniversaire de la victoire, avec les deux longues queues de 1971 en première ligne, avouez que ça aurait franchement de la gueule….

 

Porsche 917-045 Le Mans 1971 917 Made for Le Mans 2020.

La 917-045 après sa restauration chez ORCA lors de l’exposition « 917 Made for Le Mans » en 2020.

Porsche 917-045 Le Mans 1971 917 Made For Le Mans 2020

Toujours durant la même exposition, mais en vue arrière.

 

Pour terminer cet article, j’adresse un immense merci à Sébastien Crubilé pour sa gentillesse et sa grande disponibilité.
Je tiens également à remercier chaleureusement Jean-Luc Chétif et Yves Ronga pour m’avoir accordé leur confiance et laissé utiliser leurs fantastiques photos de 1971 pour illustrer mon propos.

 

Crédit photo : Jean-Luc Chétif, Yves Ronga et Vincent Laplaud.

 

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