Fred Barozier – Pipo Moteurs : C’était impossible donc on l’a fait – Part 1 :

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La grande surprise de ces 24 heures du Mans 2021 et on ne cessera de le répéter, est sans aucun doute, la performance de la Scuderia Cameron Glickenhaus qui place ses 2 voitures sur la ligne d’arrivée pour sa première participation. Mais on oublie souvent de dire que le moteur est d’origine et de fabrication française, créé à partir d’une page blanche par une entreprise française et plus précisément ardéchoise bien connue dans la compétition en surtout en rallye et rallye-cross depuis ses premiers pas en 1975. Pipo Moteurs compte plus d’une soixantaine de victoires en WRC dont 5 titres de champion du monde des constructeurs WRC en 2000, 2001 et 2002 avec Peugeot et 2006 et 2007 avec Ford ainsi que 2 titres pilote en 2000 et 2002 avec Marcus Gronholm. Quant au rallye-cross, de nombreuses victoires sont à compter en championnat US de rallye et rallye-cross avec Ken Block et un titre de champion du monde de rallye-cross FIA avec Petter Solberg en 2014 et 2015.

 

 

Fred Barozier est au volant de Pipo Moteurs, c’est un homme occupé d’une part par son entreprise car la gestion d’une entreprise n’est pas de tout repos et d’autre part il doit sans cesse innover pour assurer la pérennité de celle-ci. A la fin d’une journée certainement bien chargée, Fred Barozier a eu la gentillesse de m’accorder un entretien où nous sommes revenus ensemble sur sa collaboration (collaboration qui peut paraitre étonnante de prime abord puisque Pipo Moteurs ne s’était jamais aventuré en endurance) avec James Glickenhaus, des premiers contacts à son apothéose aux 24 Heures du Mans 2021, ce qui a nous permis ensuite d’évoquer le futur des moteurs thermiques et plus précisément de Pipo Moteurs. Entretien passionnant avec un homme passionné

 

Nous découvrons ainsi comment se sont passés les premiers contacts entre Fred Barozier et Glickenhaus par l’intermédiaire de Podium Advanced Technologies : « A l’origine, ce n’est pas Glickenhaus qui m’a contacté directement, c’est Podium Advanced Technologies, l’équipe italienne qui s’occupe de l’ingénierie et de la fabrication de la voiture, ce sont eux qui m’ont contacté directement. Ils étaient à la recherche d’un motoriste, ils étaient déjà en contact avec plusieurs autres motoristes mais les solutions techniques proposées et le partenariat moteur – châssis ne leur convenaient pas, ils ont entendu parler de nous, ils nous connaissaient déjà par les moteurs de rallyes que nous faisions à l’époque et ils nous ont contactés pour voir si nous étions intéressés par le projet du Mans. De mon côté, depuis que le règlement Hypercar était sorti, c’était quelque chose que je suivais avec beaucoup d’intérêt et dès qu’ils m’ont appelé, je leur ai répondu qu’il fallait qu’on se rencontre, ils m’ont appelé un mercredi et ils sont venus me voir le samedi ou le dimanche suivant. »

 

Le moteur V8 bi-turbo de 3,5 litres créé par Pipo Moteurs

Bien évidemment, même si Pipo Moteurs est connu et reconnu en rallye et en rallye cross (entre autres, je vous invite d’ailleurs à découvrir le palmarès impressionnant sur la page références du site internet de Pipo Moteurs, il y a de quoi être interpellé), Fred Barozier avait déjà dans l’idée depuis un certain temps, de créer un moteur pour l’endurance : « Oui, cela faisait clairement partie des projets. Depuis 25 ans, nous faisons des moteurs pour des constructeurs et puis à un moment, on s’est dit pourquoi attendre que les constructeurs viennent nous voir, faisons notre propre moteur qui répond au cahier des charges de la FIA, ce qu’ils appellent, le Global Race Engine et allons directement le proposer aux équipes, c’est ce qu’on a fait en 2016-2017 et quand j’ai vu le règlement Hypercar, je me suis dit que cela était pour nous, la même chose, on a très peu de limitations sur le règlement technique du moteur donc on peut faire à peu près ce que l’on veut. Ce qu’il faut respecter c’est une puissance, une consommation, un rapport poids / centre de gravité, des choses qui techniquement sont très simples à gérer et à contrôler et pourquoi pas développer notre propre moteur Hypercar. »

 

 

Même si du côté de la réglementation, les choses étaient relativement simples pour Fred Barozier et son équipe, certaines restrictions ou limitations étaient à observer dont la principale étant la puissance. L’équipe Pipo Moteurs est une habituée de la puissance maximale sur un moteur et la nouveauté pour eux était de rester à 99,9% d’une puissance donnée : « Le cahier des charges est très simple du point de vue réglementation, il y a une puissance imposée, elle est mesurée sur les arbres de transmission donc sur les cardans, ils installent des jauges de contrainte qui mesurent le couple et ils calculent la puissance avec la vitesse des roues et en permanence, on doit respecter une puissance maximum d’où l’enjeu technique du projet qui est d’être à 99,9% de la puissance maximum autorisée. Cela était un challenge que nous n’avions jamais vraiment connu car en WRC, nous avions une limitation de puissance par une bride mais une limite de puissance par une mesure et un contrôle d’acquisition de donnée, nous n’avions jamais fait. »

 

Le moteur est structurel et tient le train arrière, les roues, les suspensions, tout l’arrière de la voiture

Fred Barozier vient de nous l’avouer, ils n’avaient jamais fait ! Et pourtant, ils vont le faire à partir d’une page blanche : « Le plus gros morceau pour nous était de créer un V8 à partir d’une page blanche, nous n’avions jamais fait de moteur pour l’endurance et nous n’avions jamais fait de moteur porteur dans la voiture puisque là dans la voiture, le moteur est structurel et tient le train arrière, les roues, les suspensions, tout l’arrière de la voiture donc nous ce que nous savions faire, c’étaient des moteurs 4 cylindres qui se mettent dans une carrosserie et fixés aux longerons de la voiture. V8, endurance et structure, on ne savait pas faire, nous n’avions jamais fait, ça, c’était le gros challenge. Quant à la partie réglementation FIA au niveau de la puissance, c’est de la mise au point, c’est de l’électronique, c’est du codage de soft mais ce n’est pas le plus compliqué. »

 

Pipo Moteurs n’avait jamais fait mais je me suis tout de même permis de lui poser la question de savoir comment il a pu convaincre Podium Advanced Technologies de faire confiance à Pipo Moteurs sachant également que d’autres motoristes étaient en lice sur ce projet ? : « Je crois que ce qui a séduit Podium Advanced Technologies et James Glickenhaus, c’est la passion que nous mettions sur ce projet alors que rien n’était signé. Ce qui a dû les convaincre de nous faire confiance c’est que depuis plus de 20 ans nous avons gagnés les championnats dans lesquels nous nous engageons soit la première année de participation soit la deuxième soit les deux années consécutives. Nous avons remporté 13 titres Mondiaux FIA ( pilotes et constructeurs ) avec nos moteurs turbo. »

 

Assemblage de la Glickenhaus 007 dans les ateliers de Podium Advanced Technologies en janvier dernier

Au challenge de créer un moteur V8 à partir d’une feuille blanche est venu se greffer également un autre challenge, celui d’un délai plus que serré : « Nous avons commencé à dessiner le moteur en février 2020 et on a livré le premier moteur au mois de décembre, nous avons mis 10 mois pour sortir ce moteur. Ce qui a été un gros challenge étant donné comme déjà dit, nous ne l’avions jamais fait. Et justement, il y a un de nos partenaires qui m’a envoyé une citation de Mark Twain disant : Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. C’est un peu l’histoire de ce projet. On s’est dit, on va faire le projet, on ne s’est pas dit que cela allait être compliqué ou autre, on se lance dedans et de toutes façons, faudra y arriver ! »

 

 

L’histoire de ce moteur est finalement digne d’une production américaine, à l’image de son commanditaire, James Glickenhaus, ancien réalisateur et producteur. Fred Barozier nous explique comment James Glickenhaus a suivi le projet : « J’ai échangé régulièrement avec lui au téléphone et de toutes façons, nous étions en confinement pendant une grande partie du projet et à ce moment-là, venir en Europe pour James Glickenhaus était assez compliqué. Mais l’échange technique se fait vraiment avec l’Italie, notre client est Podium Advanced Technologies. J’ai ensuite rencontré James sur les séances d’essais puis sur les courses et là, nous avons pu faire connaissance et échanger, c’est un personnage assez atypique et attachant, un passionné avec une grande culture du sport automobile ! 

Ce qui fait aussi du bien d’avoir une bouffée d’air fraiche et une ambiance différente dans le paddock. J’étais d’ailleurs avec lui aux 24 Heures du Mans 2021. »

 

 

Dans la deuxième partie, nous découvrirons comment Fred Barozier a vécu les 24 Heures du Mans au sein du stand Glickenhaus et nous évoquerons également l’avenir de Pipo Moteurs en endurance. A suivre

 

Crédit photo : Pipo Moteurs (merci à Laura) et Scuderia Cameron Glickenhaus pour les photos de l’assemblage de la voiture

 

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