La Ferrari P2/365P #0828, la transformiste. (1ère partie)

5/5 - (2 votes)

Cette année, la Ferrari P2 va fêter ses soixante ans et un des six exemplaires produits vient d’intégrer une grande collection française. Il a d’ailleurs été exposé récemment au Musée automobile de la Sarthe.
Alors effectivement la P2 n’est pas une auto révolutionnaire, mais elle marque cependant une évolution technique majeure dans la série des Prototypes Ferrari et sa conception va être reprise et évoluer une décennie durant, générant des modèles parmi les plus emblématiques de la marques.
Par le filtre de la longue histoire de la #0828, la seconde produite, je vous propose d’explorer l’histoire de cette auto, en commençant par rappeler le contexte qui a présidé à sa création et rappeler les débuts de la P2 en compétition.

 

La « révolution de palais ».

 

L’histoire commence à la fin du mois d’octobre 1961.
Quelques semaines plus tôt, Wolfgang Von Trips s’est tué au deuxième tour du Grand Prix d’Italie à Monza en s’accrochant avec Jim Clark et sa Ferrari 156 « Sharknose », en perdition, a provoqué la mort de quatorze spectateurs. Comme après l’accident des Mille Miles 1957, dont les tensions dues au procès sont à peine retombées, la presse italienne se déchaine contre l’écurie de Maranello. Le Championnat du Monde des Constructeur en Endurance, la cinquième victoire aux 24 Heures du Mans, le Championnat du Monde des Constructeurs en F1 assorti du titre pilote revenant à Phil Hill, ainsi que tous les autres succès remportés durant la saison passent d’un coup au second plan.
En interne, Enzo Ferrari, dont le moral est vacillant depuis le décès de son fils Alfredo cinq ans plus tôt, s’est renfermé sur lui même et a laissé sa femme Laura prendre de plus en plus de place dans l’entreprise depuis le début de l’année 1960.
Deux ans durant, la Signora Laura va se mêler de tout, s’insinuant dans la partie production mais aussi dans le service compétition. Les incidents mettant en cause Laura Ferrari, de plus en plus présente également lors des courses, vont se succéder, pouvant parfois être qualifiés de troubles du comportement.
Les sautes d’humeur de la Signora vont atteindre leur paroxysme lorsqu’au début du mois d’octobre 1961, elle gifle Girolamo Gardini, le directeur commercial, mettant en cause son intégrité, au même titre que d’autres responsables de l’usine.
Un vent de rébellion va alors souffler sur Maranello et la fronde va être menée par Romolo Tavoni, le directeur sportif, Carlo Chiti et Giotto Bizarrini, les ingénieurs du service course, Federico Gilberti, le directeur de l’usine, Ermanno Della Casa, le directeur administratif, Enzo Selmi, le chef du personnel, Fausto Galassi, le responsable de la fonderie et, évidement, Girolamo Gardini.
Après moult palabres et contre l’avis de Tavoni, ils vont faire rédiger par un avocat représentant leurs intérêts un courrier adressé à Enzo Ferrari expliquant les effets néfastes du comportement de sa femme sur la bonne marche de l’entreprise.
L’Ingenere ne répondra pas à ce courrier, mais va licencier ses signataires. Il s’entretiendra cependant avec chacun et acceptera de réintégrer Gardini, Galassi et Gilberti.
(Romolo Tavoni reviendra sur ces évènements dans une interview publiée dans les années 1990 et se montrera beaucoup modéré, le temp aidant surement à apaiser les choses. Cependant, la décision prise par Enzo Ferrari dans le courant de l’année 1962 qui retire tous mandats à sa femme au sein de l’usine tente à prouver que la fronde des ingénieurs n’avait pas émergé sans raisons.)
Ce « schisme », qualifié également de « révolution de palais » en fonction des historiens qui le relateront, va mettre au premier plan le fils d’un des plus fidèles collaborateur de la Scuderia, Reclus Forghieri. Entré chez Ferrari en tant que stagiaire en 1957, puis embauché en janvier 1960 après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur en mécanique à l’Université de Bologne l’année précédente, le jeune Mauro, âgé de 26 ans, passionné d’aviation, se voit catapulté « responsable de toutes les activités sportives et des essais » le 30 octobre 1961.

 

 

Enzo Ferrari Mauro Forghieri essais GP Italie Monza 1963

Enzo Ferrari et Mauro Forghieri lors des essais du Grand Prix d’Italie à Monza en 1963.(©D.R.)

 

Un vent nouveau souffle sur Maranello.

 

Prenant ses fonctions à peine trois mois avant le début de la saison 1962, il est évident que le jeune ingénieur va devoir faire ses armes en utilisant du matériel créé par ses prédécesseurs.
La saison de F1 va être catastrophique, les « Sharknose » étant totalement dépassées par une concurrence anglaise dont les V8 sont enfin disponibles et performants.
En Endurance, le passage au « tout à l’arrière » se mets en place même si les Testa Rossa restent en renfort sur les épreuves longue durée. Les Sports deviennent « Expérimentales » et un « Challenge Mondial de Vitesse et d’Endurance » dont les points sont comptabilisés lors des quatre principales courses de la spécialité leur est réservé.
L’Emilien va en profiter pour exploiter certaines de ses idées pour remettre dans des conditions réglementaires les vues de Carlo Chiti. Parmi elles, il inventera un arceau caréné permettant de respecter la notion de hauteur protégée du règlement ACO sans utiliser les capots arrière massif du Mans 1961. Cet arceau évoluera tout au long de ses créations jusqu’à ce que le règlement soit modifié.
Le Championnat du Monde des Marques étant désormais dévolu aux Grand Tourisme, priorité est donnée à la 250 GTO, création de Giotto Bizzarrini, qui va faire une saison formidable et ramener le titre à Maranello.
Phil Hill, lassé de l’absence de performance des voitures de Grand Prix et du peu de considération d’Enzo Ferrari envers lui quitte la Scuderia, il va être remplacé pour la saison suivante par John Surtees, septuple Champion du Monde moto, qui a fait ses débuts en F1 en 1960, et montre depuis un talent lui ayant permis de terminer quatrième du championnat précédent sur une modeste Lola.
La saison 62 ayant vue l’arrivée de la Lotus 25, première F1 à châssis monocoque permettant à Jim Clark de signer six pole positions sur neuf courses, Mauro Forghieri prend conscience que même si la création de Colin Chapman manque encore de fiabilité, elle représente l’avenir de la discipline.
Dans un premier temps, il va dessiner un nouveau châssis tubulaire pour la 156 version 1963,  et va lui donner un ligne proche des monoplaces anglaises les plus performantes. Lors du Grand Prix d’Allemagne couru sur le Nürburgring, John Surtees remportera sa première victoire en F1 devant Jim Clark au volant de la 156/63 tubulaire, mais le reste de la saison sera bien compliqué, le V6 Typo 178 à 120° ayant de plus en plus de mal à donner le change face aux V8 anglais.
Clark et sa Lotus 25, enfin fiabilisée, dominent la saison.
Pour remettre la Scuderia au premier plan, Forghieri va puiser dans ses connaissances aéronautiques pour appliquer à l’automobile une idée venue de sa seconde passion.
Ainsi, il crée dans le courant de la saison la Ferrari 158 « Aero », dont le châssis tubulaire est renforcé de plaques d’aluminium rivetées formant un semi-monocoque, à la manière d’une voilure d’avion, concept qui sera un véritable tournant dans l’histoire de Ferrari. Cette monoplace a été développée pour recevoir le nouveau V8 de Maranello, le Dino Typo 205B, mais également le nouveau 12 cylindres à plat, le Typo 207, plus puissant et destiné aux circuits rapides.
La monoplace « Aero », d’inspiration très britannique tant dans sa ligne que dans les dessin de ses suspensions, après avoir été longuement testée par Surtees durant l’été pour tenter de fiabiliser le V8, débute au Grand Prix d’Italie à Monza, modifiée pour recevoir le V6. Le britannique signe la pole mais casse son moteur en course. Les trois courses de la fin de saison se solderont par deux casses moteur et une disqualification au Mexique, Surtees, en panne de démarreur après un arrêt, ayant été poussé pour repartir.
En Endurance, la GTO continue sa moisson de victoires et ramène, de nouveau, le titre constructeur à Maranello.
Concernant les prototypes, Forghieri va faire du neuf avec de l’existant. Il reprend le châssis type 246SP créé par Carlo Chiti, allonge son empattement de 8cm pour y loger le V12 3l de la testa Rossa et de la GTO, place les réservoirs le plus bas possible dans les flancs et élargie ses voies de 19cm pour augmenter sa stabilité en courbe. L’habillage de la nouveauté est confié à Pininfarina qui va développer ses formes dans la soufflerie de l’université de Stuttgart et créer un spider à la ligne très pure et très compacte. Un nouveau pare-brise panoramique, d’une seule pièce, est étudié en partenariat avec Saint-Gobain, l’habitacle étant prolongé par l’arceau caréné apparu l’année précédente.
La Ferrari 250P vient de naitre, et bien que son châssis s’inspire très fortement des créations de ses prédécesseurs, le premier prototype créé par Forghieri est une grande réussite qui va dominer l’Endurance deux ans durant, même si sa motorisation va évoluer pour gagner en performance et si elle sera revue sur quelques points de détail en 1964.
Entre avril et mai 1963, Ford, qui veut rajeunir sont image en sortant la Mustang, essaye d’acheter Ferrari pour en faire sa vitrine en compétition. En homme d’affaire rusé qu’il est, Enzo Ferrari fait monter les enchères avant de mettre fin brutalement à la négociation, et ainsi faire augmenter les subsides que lui accorde régulièrement la famille Agnelli.
Il va ainsi déclencher une des célèbres colères d’Henry Ford II, qui va jurer, quel qu’en soit le prix, de battre le Seigneur de Maranello sur son propre terrain, au Mans.
En octobre, au Salon de Paris, est présentée la 250 LM, une version « assagie », destinée à la route et déclinée en berlinette de la 250P, que Ferrari présente comme évolution de la GTO et destinée à courir en GT à partir de 1964. Mais si les instances avaient cédé pour la GTO, elle resteront inflexibles pour la 250 LM qui restera un prototype.
Durant toute la saison 1964, l’Ingenere fera pression pour que la LM soient enfin homologué, et finira, après que la GTO, mise à niveau, ait obtenue un dernier titre en GT remporté de haute lutte contre les Cobra Daytona, par annoncer que Ferrari sera seulement représenté par ses clients dans la catégorie à partir de 1965.

 

Ferrari 158 Surtees GP Mexique 64

Grâce à la Ferrari 158, John Surtees devient Champion du Monde et apporte le titre constructeur à Ferrari. (©D.R.)

 

La saison F1 1964 débute comme avait fini la saison précédente, par un double abandon à Monaco.
Même si la deuxième place de Surtees à Zandwoort avait redonné espoir à la Scuderia, la 158 souffre de problèmes de jeunesse et, à la mi-saison, au soir du Grand-Prix d’Angleterre, le pilote anglais compte vingt points de retard sur Jim Clark et seize sur Graham Hill.
Mais une fois les lourds préparatifs des 24 Heures du Mans passés et la saison d’Endurance achevé, les hommes de Maranello vont remonter la pente.
Surtees s’impose en Allemagne devant Hill alors que Clark casse son moteur. Malgré un abandon de l’anglais en Autriche, suspension cassée, Lorenzo Bandini remporte sa première victoire sur une Aero en version six cylindres, et permet à Ferrari de revenir dans course au titre constructeur.
Sur la lancée, Surtees s’impose à Monza alors que, pour la troisième fois consécutive, Clark fait un score blanc, la transition entre la 25 et la 33 étant délicate pour Lotus.
L’ancien champion moto est revenu à quatre points d’un Hill qui vient de subir deux abandons coup sur coup et à deux points de l’écossais.
En septembre, il semble évident que la 250 LM n’obtiendra jamais son homologation en GT. Enzo Ferrari pique une colère noire envers l’Automobile Club d’Italie qui, selon lui, ne défend pas assez ses intérêts auprès de la Commission Sportive Internationale de la FIA. Il décide que ses F1 ne porteront plus les couleurs italiennes, au moins pour la fin de saison.
S’est donc sous les couleurs américaines du N.A.R.T., dans une robe blanche et bleue, que les 158 vont se présenter à Watkins Glen pour le Grand Pris des Etats-Unis. Une fois encore Clark, abandonne après avoir dominer la course suite à des problèmes d’alimentation. Hill s’impose devant Surtees et il faudra attendre la dernière course de la saison pour départager les trois hommes.
Au Mexique, en altitude, la course va être folle. Clark part en pole, mais le V8 de sa Lotus 33 perd de l’huile provocant son retrait à un tour de la fin alors qu’il avait, une fois de plus, mené toute la course. Il sera tout de même classé cinquième. Au trente et unième tour, Hill s’accroche avec Bandini en tentant de le dépasser et sa B.R.M. va taper de l’arrière dans les rails à la sortie de l’épingle, abimant ses échappements. Le temps de repasser aux stands, le londonien repart quatorzième. A ce moment de la course, il est a égalité de points avec Surtees mais virtuellement champion, ses accessits étant meilleurs. Ordre est alors passé à Bandini de laisser passer son leader, qui, prenant la seconde marche du podium derrière Gurney, devient le nouveau Champion du Monde pour un point, rapportant également le titre constructeur à Ferrari.
John Surtees est encore, à ce jour, le seul pilote a être devenu Champion du Monde sur deux et quatre roues.

 

La P2, la réponse de Ferrari à Ford.

 

La saison 1964 d’Endurance a certes été dominée par Ferrari, mais elle a aussi été marquée par l’apparition de l’arme de vengeance d’Henry Ford II après l’échec des négociations du printemps 1963 pour tenter de prendre le contrôle l’officine de Maranello.
En effet, dès l’été 1963 et pour ne pas partir de zéro, les hommes de Dearborn ont racheté le projet de la Lola Mk6 GT à Eric Broadley et ont utilisé les immenses moyens techniques et financiers du géant américain pour la faire évoluer en ce qui va devenir la GT40.
Conçue en Angleterre par un bureau d’étude dirigé par Roy Lunn et dont Broadley fait parti, du moins dans les premiers temps, le prototype apparait lors des Essais d’Avril des 24 Heures du Mans 1964. Même si son aérodynamique est issue des calculs fourmis par les ordinateurs de la FO.MO.CO., la Ford se révèle alors terriblement instable à haute vitesse et le weekend se solde par deux sorties de route et un châssis détruit.
Mais dès sa première course, au Nürburgring, la Ford, déjà modifiée, va se montrer aussi rapide ou presque que les 275 et 330P. Souffrant de nombreux problèmes de mise au point, équipée d’une boite Colotti trop fragile, l’américaine va faire une saison blanche, tout en montrant un potentiel certain.
A Maranello, on a pris conscience du risque, d’autant qu’Henri Ford II, impatient et ne trouvant pas ses investissement en adéquation avec les résultats obtenus, décide, durant l’inter-saison, de retirer l’exploitation des GT40 à John Wyer, dont l’équipe à dégrossi l’auto, pour la confier à Carroll Shelby, avec l’espoir d’obtenir très vite une victoire « à l’américaine ».
Il se murmure également que Roy Lunn a réintégré son entité indépendante produisant les projets spéciaux de Dearborn, Kar Kraft, et qu’il étudierait une version plus musclée de la GT40, qu’il considère sous-motorisée, voulant y greffer, très probablement, le V8 7l aluminium de la Galaxy qui coure alors en Nascar.
Depuis l’écrasant succès de la très innovante Chaparral II de Jim Hall durant la Bahamas Week, il devient vite évident que l’autre géant américain, Chevrolet, ne va pas rester inactif, bien que son soutient au pétrolier texan se fasse discrètement.

 

Cutaway Ferrari P2

Cet éclaté de la Ferrari P2 dans sa version prototype, illustre bien le travail de Forghieri sur le nouveau châssis et la suspension arrière type F1. (©D.R.)

 

Ferrari se doit de réagir et va donner priorité aux Prototypes pour l’année 1965.
Dès l’automne 1964, Mauro Forghieri se met au travail et va s’éloigner de l’héritage de Chiti. Il dessine un nouveau châssis selon le concept Aero qu’il a introduit sur la 158, une structure tubulaire en acier renforcé par des plaques d’aluminium rivetées, le tout formant un semi-monocoque bien plus rigide que le tubulaire de la 275P.
Si la P2 conserve une suspension avant traditionnelle à double triangulation, Forghieri dessine pour l’arrière un système directement inspiré de la F1 avec un triangle inférieur inversé, un bras supérieur et deux jambes de poussée longitudinales de chaque côté.  Cette configuration, qui limite les micro-braquage lors du travail de la suspension, permet de faire travailler les pneus bien à plat et de monter des roues plus larges.
La carrosserie va être réalisée chez Medardo Fantuzzi, à Modène, selon les études réaliseés dans la nouvelle soufflerie au 1/5ème de l’usine. Forghieri s’inspirant une nouvelle fois des créations venues d’outre-Manche, et notamment de la Lotus 30, a défini une ligne très galbée, très basse dans sa partie avant et dessinée au plus près des éléments mécaniques.
Même si elle conserve le traditionnel empattement de 2,40m, la P2 est 10cm plus longue que son aînée et ses voies sont élargies de 5cm à l’avant et de 3cm à l’arrière.
Sur la plan de la motorisation, comme en 1964, deux options sont prévues, un V12 3,3l et un 4l pour les circuits rapides, mais cette fois les blocs seront à culasses double arbre et bénéficieront d’un système de double allumage Marelli.
Les sources sont divergentes concernant l’utilisation de culasses double arbre sur les V12 Ferrari, certains historiens les situant précédemment sur les moteurs compressés de 1949, d’autres en 1957.
L’alimentation est assurée par une batterie de six carburateurs Weber DCN de 40mm (38 précédemment) et le taux de compression est passé de 9:1 à 9,8:1. Dans sa version 275, le V12 est donné pour 350 cv à 8500 tr/min, et pour 410 cv à 8200 tr/min dans sa version 330. La boite de vitesse reste identique à celle des modèles 1964 et l’embrayage est toujours situé en porte à faux, tout à l’arrière.
En même temps que la P2 va apparaitre la Dino 166P, version en réduction du nouveau prototype Ferrari et motorisée par le V6 1600 double arbre de 180 cv dérivé du bloc vu en F1 lors des saison 1961/62. Elle doit lutter contre les Porsche dans la catégorie moins de de 2l et servira de banc d’essais au moteur de la future Formule 2 de la marque, prévue en 1967, dont le bloc devra être issu d’un modèle de série produit, au moins, à 500 exemplaires.
Dans cette optique, un accord sera passé en mars avec Fiat pour la production future d’un coupé et d’un cabriolet motorisés par le V6, moteur qui trouvera également sa place dans la prochaine « petite Ferrari », badgée Dino, la 206.
La première P2, la #0826, gréée en version Sport, au pare-brise remplacé par un saute vent et dépourvue d’arceau caréné, roule fin novembre 1964, pilotée par John Surtees sur l’autodrome de Modène.
Elle sera présentée à la presse en marge de la traditionnelle conférence de presse donnée chaque saison par Enzo Ferrari organisée le 12 décembre 1964.
A cette occasion, le champion du monde anglais qui se charge du développement de la voiture signera un prometteur 0’57 » sur le circuit émilien de 2,4 km.
Quatre jours plus tard, « Il Grande John » évalue la P2 à Monza avant d’assurer, accompagné par Lorenzo Bandini, un test d’endurance de 1000 Km sur le circuit de Vallelunga.

 

 

La reprise du duel Ferrari/Ford.

 

La Ferrari P2, motorisée par un 4l, va faire ses grands débuts en compétition lors des 2000 Km de Daytona courus le 28 février 1965.
L’exemplaire vu à Modène fin 64, #0826, toujours en version Sport mais légèrement modifié dans sa partie avant, désormais équipé de phares à longue portée encadrant l’entrée d’air, et au capot arrière dont les entrées d’air ont été redessinées, est confié pour l’occasion au North American Racing Team, soutenu plus ou moins discrètement par l’usine.
John Surtees, qui vient d’essayer à Modène la nouvelle mouture de la 158, est chargé de la piloter en compagnie de Pedro Rodriguez.
L’équipe de Luigi Chinetti engage également deux autres Ferrari, la 330P #0820 pour David Piper et Walt Hansgen, et la 275P #0814 pour Bob Grossman et John Pulp, les deux autos étant aussi configurées en Sport, mais comme la P2, engagées en catégorie Prototype.
Ce premier round de l’affrontement entre Maranello et Dearborn, pour la saison 1965, va les voir affronter deux Ford GT40, la première, #GT/104, étant confiée à Bob Bondurant et Richie Ginther, alors que la seconde, #GT/103, est pilotée par Ken Miles et Lloyd Ruby. Ces deux autos, déjà vues en piste l’année précédente, sont désormais gérées par le Shelby American.
Elles ont été modifiées dans l’urgence par Phil Remington et son équipe pour recevoir le V8 4.7l déjà essayé à Reims en 64 et lors de la Bahamas Week sur #GT/105, la boîte Colotti a été renforcée et a reçu de nouveaux pignons d’origine Ford. Sur le plan aérodynamique, l’avant a été, une nouvelle fois, modifié et assorti de flaps pour trouver de l’appui, le capot arrière élargi pour pouvoir contenir la nouvelle monte pneumatique proposé par Goodyear, qui remplace Dunlop chez Ford, montée désormais sur des jantes en magnésium Halibrand en lieu et place des Borrani originales.
Ayant assuré le développement de la P2 durant l’hiver, le nouveau Champion du Monde se montre d’emblée à l’aise en Floride et signe la pole position en 2’00″600, laissant la première Ford, celle de Bondurant/Ginther, à 1″2.
Surtees prend la tête au départ, mais dès le deuxième tour, il se fait dépasser par le vainqueur de l’année précédente, Dan Gurney, qui, après des essais moyens, montre tout le potentiel de la Lotus 19J qu’il a modifié et équipé d’un Ford 5,3l, l’engageant au nom de l’écurie qu’il vient de créée en partenariat avec Carroll Shelby, All American Racer.
Au quatorzième tour, Dave Hull explose littéralement le moteur de sa Jaguar Type E en passant devant les tribunes. Hansgen, alors au troisième rang, ne peut éviter les débris et éclate sa roue avant droite avant de s’abîmer dans l’échappatoire. La 330P ne repartira pas.
Les Ford s’arrêtent pour vérifier les pneus, mais reviennent vite dans le sillage de la Lotus de tête suivi par la P2.
Surtees passe le relais à Rodriguez au quarante-troisième tour, alors que Gurney ravitaille huit tours plus tard et reste au volant, les deux autos conservant la tête de la course.
Vers le milieu de son relais, le pneu arrière gauche du pilote mexicain explose et détruit la batterie de la Ferrari, obligeant Rodriguez à partir, en courant, en chercher une autre aux stands.
Le temps de la remplacer, de rentrer, et de laisser aux mécanos le soin de réparer le capot et de changer les roues, vingt tours ont été perdu sur la Lotus de tête.
Après presque 1300 Km passés au commandement, la Lotus de Gurney et Grant casse son moteur, laissant le champ libre aux Ford.
La 330 P2 abandonne quelques tours plus tard, la suspension arrière ayant fini par lâcher, probable conséquence de l’éclatement. Puis c’est au tour de la 275P de quitter la course, embrayage hors d’usage, alors que Hansgen, Rodrigez et Piper avait rejoint Grossman, laissant Pulp sur la touche.
Miles et Ruby, auteurs d’une course prudente, apporte à la GT40 sa première victoire, passant la ligne cinq tours devant la Cobra Daytona de Jo Schlesser, Harold Keck et Bob Johnson, qui remporte le GT. Le podium étant complété par la seconde GT40 de Bondurant et Ginther, le triomphe Ford est total.

 

Ferrari 275P2 0826 Rodriguez 2000 Km Daytona 1965

Rodriguez vient de relayer Surtees lors des 2000 Km de Daytona et va bientôt être victime d’un éclatement. (©D.R.)

 

Deux victoires à zéro.

 

Prétextant que l’épreuve est réglementairement réservée aux Prototypes alors que des autos de la catégorie Sport y participent, Enzo Ferrari décide que la Scuderia ne sera pas présente lors des 12 Heures de Sebring, laissant à ses clients le soin de défendre les couleurs de la marque.
Il est fort probable que les raisons de ce forfait soient plus directement liées au test d’endurance mené durant l’hiver par Jim Hall et Hap Sharp qui se sont relayés durant douze heures, dans des temps records, au volant de la Chaparral 2A, qui a survolé la précédente Bahamas Week. Le contrat d’exclusivité liant traditionnellement les organisateurs de l’épreuve à un pétrolier texan a certainement également pesé dans la balance.
Face aux deux Chaparral 2A, celle des « patrons » Hall et Sharp et la seconde confiée à Ronnie Hissom et Bruce Jennings, et aux deux Ford GT40 vues à Daytona, pilotée par Richie Ginther et Phil Hill pour #GT/104, et par Ken Miles associé à Bruce McLaren sur #GT/103, six 275P et 330P sont présentes, regroupées sous la bannière du Ferrari Owners Racing Association, et engagées pour certaines en Sport, d’autre en Prototype.
Les Ferrari 250 LM du  David Piper Auto Rascing et du Mecom Racing sont également présentes.
Du côté des Sports, la Lotus 19J de Gurney et la Lola T70 Mk1 débutante du Mecom Racing Team complètent les prétendantes possibles à la victoire.
Dans les faits, après un duel aux couteaux avec Gurney en début de course, Hall, qui a signé la pole en 2’57″600, va, avec Sharp, étouffer la course.
A mi-distance, l’oiseau blanc compte cinq tours d’avance sur la Ferrari 330P de Pedro Rodriguez et Graham Hill, puis sept tours une heure plus tard.
Mais à 17h30, une véritable tornade s’abat sur la Floride et la course se transforme en régate.
Les temps tombent à vingt minutes au tour pour parcourir les 8,369 km du circuit tracé sur un ancien aérodrome, d’autant que la plupart des concurrents, dont la Chaparral de tête, ne disposent pas de pneus pluie.
C’est alors que Ken Miles, dont la GT40 est montée en Goodyear « pluie » va tirer son épingle du jeu et remonter à la seconde place, et que David Piper et Tony Maggs vont profiter de leur Dunlop R7 pour se placer dans le sillage, sans mauvais jeu de mot, de Graham Hill alors au troisième rang.
L’orage va finir par se calmer, mais les dalles de béton du revêtement vont rester détrempées jusqu’à la fin de la course.
Au 133ème tour, l’embrayage de la 330P de Rodriguez et Hill, sollicité en permanence pour relancer un V12 dont l’allumage ne supporte plus la pluie, fini par rendre l’âme et les positions se figent en tête.
Hall et Sharp passent la ligne en vainqueurs à minuit et apportent sa première victoire internationale à Chaparral. Ils sont suivis par la GT40 de Miles et McLaren qui, malgré une panne d’essuie-glaces en fin de course, termine à quatre tours. L’équipage de la Ford ayant réussi à maintenir Piper et Maggs, qui sauve les meubles pour Maranello, à deux tours.
Après deux victoires d’affilées dans le Trophée International des Prototypes face à Ferrari, on exulte chez Ford, certain d’avoir fait le bon choix en confiant l’exploitation des GT40 à Carroll Shelby.
A Maranello, le sentiment est évidemment plus mitigé, même si l’approche de la saison européenne d’Endurance rassure, on fourbit ses armes et on prépare la revanche…

 

 

 

 

Crédit photos : Vincent Laplaud, Droits réservés.

Translate »