La 512 M #1040, la Ferrari la plus rapide jamais vue au Mans.

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Alors certes, le circuit que nous connaissons aujourd’hui est bien différent de la piste de 1971.
Il n’en reste pas moins vrai, qu’avec un temps de 3’18″500, la Ferrari 512M #1040, pilotée par Mark Donohue, est encore, en performance absolue, la plus rapide des belles de Maranello ayant posé ses gommes sur le tarmac manceau.
Cela mérite bien qu’on raconte son histoire…

 

Un come-back contrarié.

 

Durant l’été 1970, Roger Penske en Mark Donohue envisagent de faire leur retour à l’Endurance.
Après un des contacts infructueux pris avec Porsche, les deux hommes entre en relation avec le concessionnaire Ferrari de Philadelphie, Kirk F. White.
Ce dernier, qui tente de d’améliorer la visibilité de son entreprise, propose à Roger Penske de lui fournir gratuitement une Ferrari 512S, accompagnée d’un lot de pièces de rechange, si le « Captain » se charge de la préparer et de la faire courir.
Réticent dans un premier temps, Penske fini par accepter et White rachète dans la foulée le Spider 512S #1040 avec lequel Jim Adams a participé à une partie de la saison CanAm 1970 sous les couleurs du Earl-Cord Racing.
La voiture est livrée au Penske Racing à l’automne et Mark Donohue va faire de nombreux essais à son volant pour tenter de définir des pistes pour améliorer la Ferrari.
Durant les semaines suivantes, selon les consignes de Mauro Forghieri, la #1040 est entièrement démontée, son châssis renforcé et elle est transformée en 512 M.
Contrairement à toutes les autres Sport 5l Ferrari « upgradées », elle est la seule dont la transformation n’est pas effectuée à Maranello.
Ainsi, le team Penske apporte ses propres améliorations à la voiture, à l’image d’une circulation d’huile externe réalisée entièrement en durits aviation, l’habitacle reçoit une planche de bord spécifique et un système d’extincteurs automatiques, les suspensions sont entièrement revues et reçoivent de nouvelles rotules.

 

Ferrari 512 M #1040 Grand Prix de Paris 1991 Montlhéry.

La Ferrari 512 M #1040 lors du Grand Prix de Paris 1991 à Montlhéry.

 

S’appuyant sur son expérience acquise à Indianapolis, Penske décide d’équiper la Ferrari du système de ravitaillement sous pression qu’il a déjà introduit dans la classique américaine et qui réduit le temps de remplissage des réservoirs, idéalement, à neuf secondes, au lieu des 35 nécessaires avec un système standard.
Les éléments de carrosserie sont également réalisés au Etats Unis, chez Berry Plasti-Glass à Los Angeles. Les capots avants et arrières, allégés par rapport à ceux fournis par Ferrari, sont renforcés de filaments de carbone pour ne pas se déformer, technique déjà utilisée par le team Wyer en 1969 sur ses GT40.
Les deux ailerons arrières classiques sont remplacés par un grand modèle prenant toute la largeur du capot.
Durant la transformation de la voiture, Penske et Donohue se rendent à Maranello pour acheter un lot de pièce et un moteur neuf.
A cette occasion, Ferrari va tenter de faire comprendre aux hommes de Mooresville que l’usine n’a pas l’intention de faire de cadeaux au team américain, et ce voyage en Italie va faire naitre chez Penske une certaine méfiance vis à vis de la Scuderia.

 

La plus puissante des Ferrari 512.

 

Le moteur neuf et celui d’origine sont envoyés en Californie, pour être préparés, chez Traco Engineering.
La circulation d’huile est retravaillée, l’injection est modifiée pour gagner en souplesse et améliorer la plage d’utilisation du V12, et l’allumage est également revu.
Jim Travers et Franck Coon vont aussi travailler sur l’embiellage, monter des paliers, des segments et des ressorts de soupapes spécifiques, plus rigides que ceux d’origine.
Après ce traitement de fond, le V12 neuf donne 630 cv et prend 9000 tr/min au banc alors que le plus ancien est donné pour 600 cv, soit la puissance des meilleurs moteurs usine de la saison 1970 chez Ferrari.
Achevée deux semaines avant les 24 Heures de Daytona, la Ferrari, proche du poids minimal de 800kg, est envoyée en Floride pour une séance d’essais lors de laquelle, après avoir réglé les suspensions, résolu quelques problèmes de freinage et trouvé l’incidence idéale de l’aileron, Donohue signe d’excellents chronos.
La 512 M est peinte aux couleurs du sponsor habituel du Penske Racing, la Sunoco oil, ce qui n’est pas sans provoquer quelques tiraillements entre Penske et White, surtout lorsque le concessionnaire se rend compte que le lettrage du pétrolier est beaucoup plus imposant que le sien sur la carrosserie.

 

Ferrari 512 M 1040 Grand Prix de Paris 1991 Peter Heuberger.

La Ferrari 512 M #1040, aux essais, lors du Grand Prix de Paris 1991, pilotée par Peter Heuberger. Au départ de la course suivante, elle sera sévèrement accrochée par une Lola T70 en perdition.

 

Les débuts en course.

 

La 512 M Penske débute à Daytona et manque de peu la victoire, suite à un accrochage, qui lui fait perdre plus d’une heure, et la relègue sur la troisième marche du podium à l’arrivée.
L’auto avait fait la pole, Donohue battant de neuf secondes le temps d’Andretti l’année précédente sur une piste humide.
Entre les essais et la course, le capot avant, tellement fin que ses bords d’attaque s’abiment à chaque entrée et sortie du banking, reçoit deux sabots en aluminium à chacun de ses angles, pour tenter de le protéger.
Associé à l’anglais David Hobbs, le pilote du New Jersey réalise un magnifique début de course avant que la 512 M bleue et jaune ne rencontre des problèmes de jeunesse (alimentation, alternateur).
Ses arrêts aux stands sont réduits à 12″2 pour un plein contre 28″ aux Porsche 917.
Durant sa remise en état après la course, les ingénieurs de Traco découvrent, en passant le moteur au banc, que ce dernier a perdu 90cv en raison d’une mauvaise étanchéité entre le bloc et la culasse. L’ancien moteur, moins puissant, est donc monté en remplacement.
La carrosserie est de nouveau modifiée et reçoit un aileron plus grand.
Deux mois après Daytona, à Sebring, la course est tendue entre Mark Donohue et Pedro Rodriguez.
Les deux pilotes finissent par s’accrocher et la belle 512 M, pourtant favorite et de nouveau partie en pole est très impactée par l’accident.
Elle est touchée au niveau du système de dégazage des réservoirs et perd beaucoup de temps à chaque ravitaillement. Donohue et Hobbs rejoindront difficilement l’arrivée à la sixième place, juste derrière les 917 Wyer.
La #1040 a été très abimée à Sebring et Penske envisage de ne pas courir aux 24 Heures du Mans.
Après une discussion animée avec White, le Captain accepte de préparer la Ferrari pour l’épreuve mancelle…à condition que le concessionnaire paye l’intégralité du voyage.
C’est donc avec un budget réduit et sur un engagement non pourvu du North American Racing Team que le Penske Racing va faire ses débuts au Mans.

 

Ferrari 512 M #1040 tour de chauffe 24 heures du Mans 1971

La Ferrari 512 M #1040 durant le tour de chauffe des 24 Heures du Mans 1971. Pilotée par Mark Donohue, elle est ici accompagnée par la Porsche 917 LH #045 avec Jo Siffert à son volant.

 

Les 24 heures du Mans 1971.

 

Une nouvelle fois, la préparation des Ferrari privées va être impactée par la situation sociale en Italie.
Malgré les grèves, l’usine va décider de donner un coup de pouce à l’équipe Penske, en espérant que la belle italo-américaine sème le trouble et perturbe l’hégémonie des 917.
Maranello fourni ainsi un nouveau moteur en alliage léger donné pour 610 cv (plus probablement 590).
Une nouvelle boite renforcée semble également avoir été amenée au Mans, mais, à priori, n’a pas été utilisée par l’écurie américaine.
Il est à noter que selon une interview plus tardive de Mark Donohue, ce nouveau moteur aurait été, en fait, facturé au Penske Racing.
La 512 M Sunoco est la vedette du pesage et les commissaires techniques vont se montrer particulièrement pointilleux avec elle.
Le système de ravitaillement sous pression n’est pas homologué selon le règlement de l’épreuve sarthoise et devra être démonté pour que la belle puisse prendre la piste.
Le graphisme des numéros de course pose un autre problème et les feux devront également être modifiés.
Après ces péripéties administratives, la 512 bleue et jaune, équipée pour Le Mans d’un aileron moins important qu’à Sebring, se montre décevante en piste le mercredi soir.
Le lendemain, Donohue va tourner longuement, testant différents amortisseurs, barres antiroulis et pneus.
En fin de séance, bien que derrière les inaccessibles Porsche 917 LH, il signe un 3’18″500, quatrième temps et meilleurs temps des 512.
Bien qu’à 4″600 de la pole de Rodriguez, ce temps reste, à ce jour, le plus rapide jamais réalisé par une Ferrari au Mans.
Lors de sa tentative, Donohue a ressenti des vibrations anormales au niveau du moteur. Décision est donc prise de monter l’ancien bloc préparé chez Traco, celui de 600cv, pour la course.
Le bloc fourni par Ferrari est cédé à la Scuderia Filipinetti, dont la 512 F de Mike Parkes et Henri Pescarolo a cassé son moteur durant les essais et qui n’a plus de moteur de rechange pour la course.

 

 

Ferrari 512 M 1040 Chantilly Arts & Elégance 2022

La sublime Ferrari 512 M #1040 lors du Chantilly Arts & Elégance 2022.

 

C’est Donohue qui prend le départ et boucle la première heure au quatrième rang, 35 secondes derrière Larrousse sur la 917 LH Martini, malgré beaucoup de temps perdu aux stands lors du premier ravitaillement, suite au zèle d’un commissaire, et malgré le fait que le carburant soit désormais délivré par un volucompteur classique.
Doublant son relais, l’américain prend la troisième place lorsque Larrousse doit rentrer, un boitier électronique s’étant décroché dans l’habitacle de la 917.
A la deuxième heure la Ferrari Penske pointe à 1’42 » de la seconde 917 LH Wyer.
Après avoir relayé Donohue, Hobbs doit s’incliner devant Elford, déchainé au volant de la 917 Martini, au début de la troisième heure.
Mais les premiers ennuis de Siffert et Bell redonnent la troisième place à l’anglais qui va gagner encore une place lorsque qu’Elford rentre pour faire changer une roue.
En fin de quatrième heure, Donohue, qui est retourné en piste est second, à deux minutes de Pedro Rodriguez qui a relayé Jackie Oliver sur la 917 LH Wyer.
Mais, à 20h14, l’américain rentre aux stands sur son élan, moteur coupé.
Une longue inspection du V12 commence et, après quarante minutes, la Ferrari Penske est poussée par ses mécaniciens derrière les stands.
Le moteur a serré au 73ème tour et l’abandon est officialisé en début de sixième heure.

 

Fin de carrière.

 

La #1040 va retrouver la piste fin juillet lors des 6 Heures de Watkins Glen.
Une fois encore, Donohue se montre le plus rapide aux essais et signe la pole en 1’07″740.
Mais la direction va lâcher en course, forçant la belle Ferrari 512 M Sunoco à se retirer.
Le lendemain, lors de la traditionnelle manche CanAm, Donohue perce un des pistons du V12 qui, semble-t-il, était le Traco de 630 cv.

 

Et ensuite?

 

La carrière en course de la #1040 prend alors fin et, après une remise en état complète, elle est vendue en 1972 au collectionneur Roberts Harrison qui va la conserver, apparemment démontée et stockée en caisse, durant une dizaine d’année.
Elle est réassemblée et restaurée au début des années 80.
On l’aperçoit lors des courses historique de Monterey avant qu’elle ne soit rachetée par un collectionneur suisse, Peter Heuberger, en 1986.
Ce dernier va beaucoup rouler avec #1040 lors de courses historiques et de concentrations Ferrari.
C’est au cours d’une de ces épreuves, le Grand Prix de Paris 1991, qu’il se fait éperonné au départ par le pilote d’une Lola T70 un peu trop agressif.
La #1040 est remise en état et le suisse va la conserver jusqu’en 1996, date à laquelle il la cède à Carlos Moteverde.
Deux ans plus tard, le brésilien la vend à Lawrence Stroll qui va la garder vingt-deux ans durant.
En 2020, le canadien qui vient de racheter Aston Martin a besoin, semble-t-il, de liquidités.
Il la cède à un grand collectionneur français qui semble l’avoir encore dans sa collection aujourd’hui.

 

 

Ferrari 512 M 1040 Chantilly Arts & Elégance 2022

Toujours lors du Chantilly Arts & Elégance 2022.

 

 

 

Je tiens ici à adresser un grand merci à Jean-Luc Chétif pour m’avoir autoriser à utiliser sa photo, prise durant le tour de chauffe des 24 Heures du Mans 1971, afin d’illustrer cet article.

Crédit Photos : Jean-Luc Chétif, Vincent Laplaud.

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