Sebastien Buemi : « La prochaine saison du WEC va en convertir plus d’un ! »

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Sebastien Buemi, quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans, nous a fait l’immense plaisir de nous accorder une interview et nous l’en remercions, à la veille de la publication de la liste des engagés de la saison du WEC (voir ICI). Nous avons bien évidemment parlé des 24 Heures du Mans et de sa préparation, ses souvenirs, sa relation avec le public, l’ére Hypercar et bien sûr, l’arrivée de la concurrence qui va vouloir certainement venir marcher sur les plates bandes de Toyota. Entretien avec un pilote qui attend avec impatience cette nouvelle saison du WEC !

 

Votre voiture préférée des 24 Heures du Mans ?

 

Je dirais de celles que j’ai conduit, la dernière TSO 50 Hybrid, je pense que c’était la voiture la plus rapide qui ait tourné aux 24 Heures du Mans avec le temps de Kamui Kobayashi (NDLR : 3’14″791 en 2017) mais après il y a eu durant les deux, trois dernières années, on avait été ralenti pour l’iot avec la Rebellion et l’Alpine mais disons cette voiture là en terme d’efficacité c’est-à-dire avec le moteur électrique à l’avant et à l’arrière, le moteur thermique, c’était l’une des voitures les plus complexes, les plus rapides, les mieux avec lesquelles j’ai jamais roulé. Après, c’est sûr qu’il y a des voitures de rêves, d’époque mais moi de celles avec lesquelles j’ai roulé, c’est vraiment celle qui ressort.

 

Quelle est votre piste/circuit préféré ou du moins où vous préférez vous piloter ?

 

Il y en a plusieurs même si c’est difficile à dire mais après avec une voiture d’endurance qui n’est pas tout à fait la même chose qu’une monoplace parce que la voiture est plus grande, elle est plus grosse donc les circuits sont différents quand vous roulez avec une voiture d’endurance mais je dirais là comme cela, à chaud, je dirais le Mans parce que la voiture est vraiment faite pour ce circuit. C’est un circuit avec un mix de virages rapides et de virages lents, de virages iconiques, encore un petit peu de dangerosité aujourd’hui, qui est un petit peu old school, un petit peu dernier cri, c’est un superbe mix, je prends beaucoup de plaisir à rouler là. Après, bien sûr, il y a Spa Francorchamps, Suzuka, ce sont des circuits que j’apprécie tout particulièrement mais peut être plus avec une monoplace mais par contre avec un prototype, cela reste plus le circuit des 24 Heures du Mans

 

Vous avez été 3 fois sur la deuxième et troisième marche du podium (2013-2014-2021), avez gagné 4 fois les 24 Heures du Mans (2018-2019-2020-2022), Quel fierté en tirez-vous ?

 

J’ai l’impression de ne pas prendre assez le temps de profiter du moment parce qu’il est vrai que quand vous passez la ligne, que vous avez gagné, c’est un sentiment assez incroyable. J’ai un petit peu de peine à réaliser donc je me dis que le jour où j’arrêterais de rouler, je réaliserai un peu plus ce que j’ai fait, j’aurais plus le temps d’y penser. Là actuellement, je n’y pense pas beaucoup mais bien sûr que je suis très fier, je suis très content. Maintenant pour moi, les deux, trois années qui viennent vont être très importantes parce qu’on aura une énorme compétition avec les nouveaux arrivants et cela me tient vraiment à cœur de pouvoir montrer qu’on n’a pas gagné par hasard et qu’on est prêt pour le challenge donc je dirais que je serais vraiment très fier si on arrivait à gagner le centenaire ou même l’édition d’après et même peut être plus que jusqu’à maintenant.

 

J’imagine que vous voulez encore remporter le Mans ?

 

Bien sûr, après, c’est sûr que je veux gagner à chaque fois que j’y prends part, maintenant, on verra bien comment les choses se passent. Il faut rester réaliste et humble mais l’objectif reste de se battre pour la victoire, ça c’est clair !

 

Toyota - 24 Heures du Mans 2022

 

Comment vous préparez / appréhendez les 24 Heures du Mans ?

 

J’essaye de les appréhender comme une course normale du championnat WEC. Mon but est vraiment d’arriver là-bas bien sûr, le mieux préparé possible mais pas forcément de faire différemment. Si vous faites différemment, peut être que vous ferez des erreurs donc je suis plus du point de vue de dire ben voilà c’est une course comme une autre même si au fond de soi, on sait très bien que ce n’est pas une course comme une autre mais on essaye d’approcher avec un niveau de préparation similaire à toutes les autres courses avec une grosse partie de notre préparation durant l’hiver, janvier, février, mars et une partie du mois d’avril, on a beaucoup d’essais, on condense un maximum de jour d’essais avant les 24 Heures et puis avant cela, nous aurons quand même trois courses, Sebring, Portimao et Spa. Disons dans l’ensemble, j’essaye d’approcher cette course comme une autre.

 

Comment vivez vous émotionnellement cette course et surtout la semaine qui l’accompagne ?

 

Oui c’est assez lourd émotionnellement parlant. Mentalement, psychologiquement c’est très difficile, il y a quand même beaucoup de pression, une envie de faire bien, il y a beaucoup d’activités tous les jours même s’il y a des jours où on ne roule pas, ce n’est pas comme si on était chez soi sur le canapé, c’est lourd, il faut alors essayer d’apprendre à gérer son énergie le mieux possible, essayer de s’attribuer des petits moments pour ne pas être trop fatigué au moment où la course démarre. On sait que c’est une course longue de 24 heures, on ne pourra pas dormir, cela met encore un peu plus de pression mais maintenant j’y suis assez habitué, je l’ai fait, je crois, 11 ou 12 fois donc je vais essayer d’améliorer d’année en année.

 

Votre plus grosse frayeur aux 24 Heures du Mans ? Et aussi votre plus beau souvenir ?

 

Frayeur, oui quand mon coéquipier Anthony Davidson a son énorme crash en 2012 (NDLR : au virage de Mulsanne, suite à un contact avec une Ferrari GT pilotée par Piergiuseppe Perazzini, les deux voitures s’encastreront dans la barrière de sécurité, les pilotes en sortiront indemnes) Mais à ce moment-là, on ne sait pas comment il va, il a pu se faire très mal. C’est une des plus grandes frayeurs que j’ai vécue lors des 24 Heures auxquelles j’ai participé. Après, bien évidemment la déception en 2016 quand on tombe en panne dans le dernier tour, c’est très difficile à accepter…

Le meilleur moment reste la première victoire en 2018. Pour moi, c’est un moment extraordinaire parce que cela faisait longtemps qu’on courait après et donc en réussissant… Y arriver, c’est quand même un sentiment incroyable d’y arriver à la fin.

 

Toyota - 24 Heures du Mans 2022

Comment avez-vous vécu la saison 2020 et plus particulièrement les 24 Heures du Mans sans public en raison de la pandémie de coronavirus ? Comment vivez-vous la passion du public pour vous et les pilotes ? On prend l’exemple d’un certain Panda fan de Toyota, le remarquez-vous au bord de la piste ?

 

Oui alors bien sûr, nous sommes dans notre bulle mais après je le connais parce que cela fait un moment qu’il est par là, il est super, c’est un super gars, on le voit régulièrement puis cela me fait toujours plaisir de le voir alors après, quand je l’aperçois, je le reconnais de loin maintenant mais voilà quand je suis dans la voiture, je ne vois rien d’autres en fin de compte. C’est plus le podium, la parade ou juste avant le départ, je réalise le monde qu’il y a. On réalise un petit peu l’événement que cela est mais quand on roule, c’est très difficile.

 

2021 a été le début de l’ère Hypercar, quels sont les gros changements dans le pilotage d’une Hypercar ? Regrettez-vous les LMP1 ?

 

Alors en termes purement de pilotage, de technique, je dirai oui je regrette un petit peu parce que c’était, on va dire, des voitures exceptionnelles à conduire, à développer, le développement qu’il y avait, c’était incroyable. Maintenant le problème qu’il y a, c’est que c’était trop cher, c’était difficile d’attirer d’autres constructeurs donc à la fin, si vous voulez, le plus important, c’est quand même le championnat, c’est quand même la santé du championnat qui prime même si à piloter, une voiture plus lourde et moins puissante, c’est toujours un peu moins bien je dirais, mais c’est aussi très difficile d’aller vite avec, elles vont quand même relativement vite puisqu’on a eu fait au Mans des 3’24 donc en soi, je suis quand même très heureux de piloter cette voiture même si des fois, je suis un petit peu nostalgique pour les LMP1.

 

L’édition 2016 des 24 Heures du Mans a été très dure avec vous et Toyota, on sent depuis une pression monstrueuse au sein de l’équipe Toyota, on l’a encore vu en 2021 avec les problèmes de pression d’essence. Comment gérez-vous et vous protégez vous mentalement face à cette pression et ces imprévus qui on le sait sont inhérents à de longues courses… ?

 

On fait énormément d’essais tout au long de l’année, beaucoup d’essais surtout en début d’année, on simule des problèmes, on essaie de trouver des solutions, de réparer le plus vite possible mais alors c’est sûr qu’en 2021 quand on a ce problème, nous on a ce problème sur notre voiture beaucoup plus tôt que sur la N°7, on sait à un moment donné que si on ne trouve pas de solutions, il va falloir arrêter la voiture, la mettre dans le garage, changer le réservoir et perdre 45 minutes donc ne pas terminer dans les 5 premiers donc c’est sûr que c’est un moment difficile et à ce moment-là, on s’imagine un peu tout, on s’imagine tout le travail qu’on a fourni, toute la préparation, tout part en fumée, tout est perdu et que tout ce travail pour rien. Mais avec un gros travail des ingénieurs, ils trouvent une solution, ils ont compris le problème, ils trouvent une solution pour éteindre les pompes à essence dans les freinages parce qu’on en avait pas besoin. On n’a pas besoin de pompe à essence durant le freinage, ce qui permettait de faire décoller les petits déchets qui obstruaient le filtre et puis quand on remettait les gaz, on avait en tout cas en pleine ligne droite, une puissance sans aucun problème et c’est vrai qu’au début, cela n’a pas été facile à mettre en place, par contre, on a réussi à le faire à tous les gros virages, ce qui permettait à chaque fois de donner l’opportunité de réaccélérer et d’arriver au virage d’après sans problème et cela a permis de ne pas abandonner, de pas s’arrêter, de ne pas abandonner, de ne pas changer de réservoir avec une perte de temps au tour minime donc c’était assez exceptionnel d’avoir réussi dans ce moment de stress, comprendre le problème, réussir à nous dire quoi faire, qu’il y avait des solutions dans la voiture, cela a été un sacré travail d’équipe et cela fait très plaisir de gagner la course avec cela, cela soude l’équipe plus que jamais quand vous arrivez à vous sortir d’un problème pareil.

 

Que pensez vous d’une aventure comme celle de Glickenhaus ? Vous êtes établi dans un team solide qui a l’expérience et les victoires et votre talent de pilote n’est plus à démontrer mais est ce qu’une aventure où vous partiriez d’une feuille blanche pourrez vous séduire ?

 

Je suis liè avec Toyota encore pendant longtemps donc pour le moment, ce n’est pas sur la table, je suis très content d’être là où je suis, j’en suis très heureus mais après c’est sur que pour Glickenhaus, j’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a fait, il a eu, il a mis beaucoup d’argent, il a fait des choix techniques qui étaient les bons choix parce qu’il est parti avec une voiture on va dire simple sans système hybride, hypercar. Ils ont fait du très bon travail avec peu d’essais, peu de moyens et ils sont arrivés au bout, ils ne sont pas tombés en panne. Je veux dire que par rapport par exemple Peugeot qui vient avec une voiture beaucoup plus complexe bien entendu mais comparé à eux, ce qu’ils ont fait là, les premières courses en 2021 et 2022, c’est quand même remarquable donc voilà, beaucoup d’admiration pour quelqu’un comme cela qui a réussi à faire quelque chose d’exceptionnel. Maintenant c’est sûr, lutter contre les constructeurs qui arrivent, ça sera quand même relativement difficile, il faut être objectif.

 

Vous allez continuer avec Toyota ? Vous êtes sous contrat jusqu’à quand ?

 

On n’en parle pas, je n’ai pas le droit, on annonce d’années en années mais tout ce que je peux vous dire, encore une petit moment… C’est beau d’être resté aussi longtemps avec un constructeur, ils ont toujours été très loyaux, c’est quand même une belle histoire jusqu’à maintenant et j’espère la continuer la plus longtemps possible.

 

Vous avez piloté pour Torro Rosso, vous êtes pilote d’essai pour Red Bull et vous passez d’ailleurs beaucoup de temps dans le simulateur F1 pour préparer chaque course pour l’écurie F1, est ce que l’expérience F1 vous apporte de l’expérience de pilotage pour l’endurance ou ce sont vraiment 2 façons très différentes de piloter (sans parler bien sûr de vos victoires et de votre titre en Formule E) ?

 

Cela apporte énormément parce que j’ai des connaissances plus élargies alors ce n’est pas tous les jours et cela est très difficile de dire qu’est-ce que cela apporte en particulier mais cela me donne d’autres solutions, d’autres techniques, d’autres, on va dire plus de knowledge, plus de savoir pour des fois, trouver des solutions à un problème donc c’est sûr que pour moi, ce n’est que du positif pour autant que j’arrive à bien combiner mon emploi du temps, c’est que du positif.

 

Plus de 15 ans de compétition autour de la planète, monoplace, F1, endurance, Formule E, quel est votre prochain challenge ?

 

Pour le moment, j’espère que cela va continuer comme cela, c’est-à-dire avec les mêmes catégories, les mêmes programmes, ça serait super et puis après on verra mais pour le moment, mon but est de continuer comme cela le plus longtemps possible.

 

2023 va être une année fantastique pour le monde de l’endurance au vu de l’arrivée de Ferrari, Audi, Porsche entre autres, Peugeot et bien évidemment le centenaire des 24 Heures du Mans, comment vous préparez vous à cette nouvelle concurrence qui va vouloir venir marcher sur les plates-bandes de Toyota ?

 

On essaie d’être très humble et on essaie de se poser les bonnes questions et de se remettre en question surtout, d’améliorer le plus possible notre situation et puis on verra mais le plus important pour moi est d’être ouvert d’esprit, humble, réapprendre et puis travailler très dur parce qu’on sait que cela va être très dur.

 

Toyota - 24 Heures du Mans 2022

Comment voyez-vous l’avenir de l’endurance ?

 

Je le vois très bien, maintenant ce qui va être important c’est de trouver un bon compromis surtout pour ce qui est de la BoP, de la manière de manager les constructeurs, cela va être important de trouver le bon équilibre car c’est facile d’avoir du monde mais cela est très facile de perdre du monde donc cela va être important que l’ACO et la FIA réussissent à tout bien manager et le mieux possible. Alors voilà, il y en a beaucoup qui arrivent, c’est sûr qu’il y en a qui partiront, faut être objectif, ils ne vont pas tous rester indéfiniment, ils partiront tôt ou tard, donc voilà, essayons de rendre le championnat le plus juste possible c’est-à-dire le plus sustainable (durable), possible financièrement, sportivement et puis on verra.

 

Une nouvelle Bop ?

 

Oui voila exactement, une nouvelle manière de faire, on verra bien ce que cela donne, je ne peux pas encore juger, j’ai envie de voir mais pour le moment c’est trop tôt pour juger mais en tous les cas, je dirais que le championnat, il est pour le moment, super bien parti.

 

Le Championnat WEC s’est terminé il y a bientôt 2 mois, d’ici le prologue à Sebring, quel est votre programme ?

 

Beaucoup d’essais dès la semaine prochaine, des essais comme d’habitude comme on fait chaque fois durant tout l’hiver et puis à côté de cela, la Formule E, voila je combine les deux.

 

Le mot de la fin ?

 

Je dirai que tous ceux qui n’était pas fan de l’endurance mais fan de sport auto, j’aimerai bien qu’il prenne l’opportunité de suivre un tout petit peu la saison prochaine car je pense que cela va en convertir plus d’un, cela va être un super championnat avec des supers marques. Si on aime l’automobile, on ne pourra que prendre du plaisir à regarder cette saison 2023 !

 

Credit photo : intensemans.fr

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